Interview schizophrène


Interview schizophrène

Je ne suis pas un théoricien de l’art et à fortiori de ma propre œuvre, aussi j’use ici d’un subterfuge qui me permet de parler de mon parcours en supposant de manière duplice, qu’un journalistedoive se faire l’écho de mon art auprès de spectateurs éventuels.
Forme très opportune et fiction crédible qui autorise un parler approximatif et donc toujours plus proche de la réalité qu’un discours pontifiant et auto-justificatif qui n’éprouve que la vanité de son auteur
Pardonnez donc cette mise en scène un peu schizophrénique qui n’a pour but ultime que de rapprocher « l’Un et l’Autre » c'est-à-dire le promeneur des musées et expositions diverses et moi-même. (car je sais bien que dans cette opération je suis, je serais, et ne demande qu’à être, l’Autre.
Nous nommerons l’interviewer, « J »
J : Cyrille Bosc, vous avez cinquante trois ans, vous avez été comédien durant une trentaine d’années, vous avez travaillé avec des personnalités du théâtre ou de la danse tels que Ariane Mnouchkine, Maurice Béjart, Lucian Pintilié…de nombreuses compagnies et metteurs en scène, vous avez été tout à la fois comédien, metteur en scène et scénographe de vos propres spectacles, et aujourd’hui vous vous présentez comme sculpteur. Qu’est-ce à dire ? Qu’est ce qui a provoqué cette rupture ?
CB : Rien !... Ou presque rien. Tout d’abord, il ne s’agit pas d’une rupture.
Il s’agit de l’histoire d’une vie d’artiste ; qui est née sans le savoir très tôt. Ma mère a vu sa carrière artistique brisée par la maternité et la tuberculose mais a toujours pratiqué la peinture ou la décoration et a certainement reporté sa frustration sur moi et m’a souterrainement encouragé. Puis il y a des facteurs socio- historiques, familiaux et scolaires qui ont influencé mon parcours.
Mai 68, j’avais douze ans, mon père et ma sœur aînée étaient sur les barricades, nous tremblions en écoutant la radio. Les slogans surréalistes s’inscrivaient sur les murs, les controverses politiques faisaient débat à la maison. Et au lycée j’y participais.
Septembre 73 : le coup d’état à Santiago du Chili est un révélateur de mon indignation adolescente, je participe à des débats, des manifestations je rencontre des exilés chiliens et la musique des Quilapayuns, la peinture de Cueco…le théâtre.
1974- 75 : dans la foulée, je participe à la grande mobilisation contre la guère du Viet-Nam, j’ai découvert dans l’année précédente les écrits d’Aimé Césaire, d’André Breton et des surréalistes en général ; j’écris, je peins je dessine, je découvre l’amour, j’ai une professeure de philo qui nous parle talentueusement d’Antonin Artaud, une professeure de littérature qui nous fait découvrir un nombre incalculable d’auteurs splendides, (Mallarmé, Jarry, Vitrac, Bataille…etc.)…Je fonde une compagnie amateur de théâtre de rue, « Citron vert » qui fera long feu, mais m’engagera pour de longues années dans l’aventure théâtrale.
J : Oui, mais tout cela a peu de rapport avec la sculpture, non ?
CB :Oui, oui, il est bien sûr difficile de synthétiser une période aussi riche que l’adolescence. Mais il me parait important de dire que c’est là que nait le moteur et l’élan de toute une vie ; là où toutes les thématiques rémanentes d’une œuvre se structurent, même inconsciemment…et même avant ! Tout petit, vers cinq, six ans, lorsque je jouais avec mes voitures Dinky Toys, je leur attribuais des facies, des personnalités,…je ne fais pas autre chose avec les vieux outils ou les pièces de métal récupéré aujourd’hui… je connais cela depuis toujours ! Pourquoi ? Ca je ne sais pas…
Puis après, à l’occasion d’un séjour à la clinique pour une intervention chirurgicale, (l’appendicite) je m’ennuyais et je me suis mis à copier des dessins de Walt Disney ; c’est très con, mais cela m’a donné confiance dans ma capacité à au moins reproduire quelque chose d’existant (fusse Mickey). Je n’ai plus arrêté de dessiner après cela… !
Plus tard, dans ma découverte du surréalisme, je me suis mis à dessiner énormément, sous l’influence de Dali, Masson, Tanguy… et à écrire…
Pour moi, à mon âge, la sculpture que je pratique aujourd’hui est un peu une synthèse de tout cela. Un retour sur investissement si on peu dire ! C’est, je le crois, dans ma vie d’homme et d’artiste, l’endroit où je peux le mieux composer mon identité, mes engagements et mes sources dans la même discipline, où, finalement je me retrouve et me découvre tout à la fois avec l’étonnement que ce que je produis, qui est du total » jus de moi »-puisse intéresser les autres.
J : Mais pour travailler le métal, comme vous le faîtes, il faut un savoir technique, des compétences ?
CB : Oui, elles sont nécessaires, donc on en a besoin, et on se met en devoir de les acquérir. J’ai fait cette démarche et suivi ces formations en soudure, serrurerie.
Mais la révélation vient en fait précisément de ce moment là !lorsqu’on a le sentiment d’acquérir ce que l’on appelle un « métier » c’est là que s’éclairent les choix, et je dois à ces formations la décision de « creuser » cette discipline…et cela implique, si l’on s’y donne, l’achat de matériels, d’outils, la location de locaux pour travailler ;donc de réfléchir concrètement à ce que l’on veut réellement faire.
J : Bien. Vous nous avez raconté le pourquoi et le comment, la genèse de votre pratique de sculpteur, mais sur la matière de votre œuvre, sa forme et son sens ?
CB : Bon, et bien avant tout le surréalisme et l’injonction de lautréamont : « Beau comme la rencontre d’un parapluie et d’une machine à coudre sur une table de dissection ». Ca, c’est pour moi la clef de l’imaginaire. Oh, bien sûr, je n’ai rien inventé… mais je m’y attelle. Il y a en moi, et qui vient de mon passé d’artiste « collectif » et d’interprète, un sentiment d’humilité et d’amour du travail artisanal qui lutte et cohabite avec un « ego » exacerbé qui me permet d’avancer.
Je suis très influencé par la tendance « dure » du surréalisme –Breton, Dali (quoiqu’en dise Breton) Peret, etc. Et celle, non pas douce car ce serait lui faire injure, disons plus populaire et néanmoins politiquement aussi engagée ; plus perceptible du fait des moyens artistiques employés, qui est celle de Prévert.
Si je me réfère au surréalisme, cela est moins pour qualifier mon travail personnel que pour définir son historicité ; et l’histoire des influences qui en découlent, se mélangent, et dans lesquelles je viens remplir mon quart lorsque j’ai soif.
En effet qui dit surréalisme dit l’intérêt pour l’Art Brut, l’art Africain, Océanien, les poupées du Mexique…mais aussi les filiations ludiques et jubilatoires de Calder et Tinguely, les extrapolations de César, prince des métalliers ! (commentaire personnel)
La rencontre avec « son » matériau, pour un sculpteur, est essentielle car elle conditionne son regard passé et à venir sur ses influences. Dès lors qu’un artiste « adopte » un matériau, il en adopte le code génétique et donc toute la généalogie.
Pour le métal, outre les « déjà cités », évidemment, le père, humble et généreux, Julio Gonzales, et parmi les nombreux merveilleux autres, spécial dédicace to David Smith, mais aussi à Robert Jacobsen, ou plus près de nous Caroline Lee, et ce cher ami et collègue Thierry Dufourmantelle, funambule de l’acier et du ciment dont la beauté du travail m’a poussé à faire le pas, comme on dit ; à oser lui déclarer faire partie de sa famille…presque lui demander sa main.
J : Mais vous ? Je vois que vous avez une immense gratitude envers vos prédécesseurs et vos contemporains. Mais où vous situez vous ; quelle est votre spécificité ?
CB : C’est une question difficile, qui force à la fois ma modestie et mon égo.
Je cherche une connivence. Une connivence du regard que je pourrais diriger (encore une réflexion d’homme de théâtre !) Je fais du neuf avec du vieux, je réactive et j’enchevêtre des sentiments, des impressions, des stimuli anciens, familiaux, culturels, poétiques, voire interculturels par la présence dans mes créations d’éléments reconnaissables ou assimilables à des souvenirs ; des « déjà vus », et je les décale en les intitulant par ma propre subjectivité, très affirmée, en jouant à la fois sur une émotion intime et sur un jeu de langage.
J’ai appris de Shakespeare que l’on n’atteint à l’universel que par la représentation de la distance qui sépare l’infiniment particulier de l’incommensurable et incompréhensible territoire commun de l’humain dans ses peurs et ses enthousiasmes. J’essaie de représenter cela. Je suis donc une sorte de sculpteur d’apparence figurative dans le sens ou mes « figures » sont plus ou moins anthropomorphes ; mais je ne le suis pas dans le sens ou celles-ci évoluent dans un système non réaliste , non psychologique ; si j’osais un gros mot je dirais : - mais dans une acception tout à fait athée (ce que je suis) - métaphysique.